Conte de l'été

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LE PETIT CAILLOU, conte

par notre président

 

C'est une histoire de chez nous,  émouvante… pas connue du tout. Calez-vous bien dans votre fauteuil et suivez-moi.

Il était une fois un joli caillou  très content de sa situation élevée. Le hasard de la création l'avait placé, avec toute sa famille, au sommet d'une jolie montagne.

 Au loin, il apercevait par temps clair, au-dessus des nuages qui ressemblaient à de gros poissons gris et blancs, une immense chaîne de montagne, blanche de neige quasiment tout au long de l'année. Quelle chance, se disait-il ! Notre caillou ne connaissait en effet que 6 mois, au pire, de froid, de neige !

 

Les autres 6 mois, du beau temps ! Bien sur, par temps chaud en été, il y avait de l'orage. Et alors, s'il avait pu, il se serait recroquevillé et caché sous ses frères plus gros que lui. Parce que la foudre, quand elle lui  tombait sur le râble, sous forme de grosses boules de flamme, j'vous dis pas la douleur : brève, mais...à hurler s'il avait pu (mais, oh, gentil lecteur, un caillou, ça parle pas !!!)

Au pied, pas trop loin, du côté du soleil levant, coulait  un fleuve puissant qui, selon les propos d'une belle perdrix reine de ces lieux, partait se perdre, au sud, dans les eaux du  gigantesque  lac du milieu.
 

 Pas trop gros, notre caillou, mais bien proportionné : plat, ovale très seyant, gris foncé, solide.

Sa grande qualité : la sérénité, le calme intérieur ! Pendant ses 3 premiers millions d'années, comme tous les jeunes, son environnement immédiat lui suffisait. Tiens, rien que regarder le panorama, c'était passionnant. Les oiseaux surtout (et il y en avait à cette époque, brave lecteur ; pas besoin de LPO pour les défendre, y avait pas encore de chasseurs, de quads, de VTTistes, de touristes braillards et sales, et de pollution dans les airs et dans le sol !!!)

Il aimait bien quand de gros rapaces venaient se poser sur lui pour reprendre souffle ou pour épier leurs futures proies. Les gros comme les buses, les faucons pèlerins, mais aussi les vautours et les aigles royaux qui venaient de loin.... Bien sur, plus ils étaient gros, plus ils faisaient de grosses fientes qui dégoulinaient sur son dos. Mais il savait que la prochaine pluie le nettoierait, il n'avait qu'à patienter  !

A 3 150 124 ans, ce fut l'arrivée de l'adolescence. Oh, en tout cas, les premiers signes : irritabilité, incapacité de supporter ses proches, et surtout désir d'aller voir ailleurs. Par exemple  ce joli tas de caillou, un peu plus bas, qu'il apercevait depuis toujours vers le nord-est ( eh, ami lecteur, un caillou, c'est magnétisé : comme un oiseau, ça reconnaît les points cardinaux. Vous, les humains, le sens de l'orientation...hum.... et je parle pas des femmes, ouaf, ouaf, ouaf...)

« Oui, mais, un caillou, je ne suis qu'un caillou, je n'ai pas de petites pattes… » Réaliste, notre caillou !

Comme tous les jeunes, il se laissait néanmoins porter par les événements, un peu morose, jusqu'au jour où…

C'était l'hiver, un vrai, (pas comme ceux que vous connaissez actuellement, aimables lecteurs). Sa petite famille était déjà quasi complètement recouverte de neige. Il était un des rares à surnager sur cette marée blanche.

Au matin, vers les grandes montagnes, ce fut comme un incendie : rouge, rouge, rouge. Puis très vite, au nord, à l'est, une noirceur envahit tout. Et puis un vent, mais un vent ! (Mamma mia, ami ligérien, même quand le vent du sud souffle chez nous, tu ne sais pas ce que ça veut dire. Une vrai tempête, que même celle du  siècle dernier...laisse-moi rire : ce n'était qu'une brise.)

Et ça tapait, hurlait, et toute la montagne vibrait. Brusquement, une rafale encore plus puissante le prit par dessous, le souleva comme une crêpe ; avec un cri (intérieur) de joie, et un peu de panique aussi, il retomba en contrebas, sur la pente raide de neige…

Silence. Le vent passait là-haut, sur son sommet, mais là, côté grande prairie, il se retrouva à l'abri, en train de glisser doucement, un peu étourdi…

Puis plus vite. Puis très très très vite…

Il partit en direction d'une trouée bleue dans les arbres, au fond d'un joli vallon enneigé, où susurrait un petit filet d'eau.

Boum, un choc contre un arbre le bloqua dans une situation bizarre. Pas de chance : il avait changé de domicile pour se retrouver dans un creux de neige, au pied d'un arbre. Aucune vue, sauf sur une petite pente en contrebas  d'une forêt de hêtre et de sapins. Dessous, le filet d'eau, maintenant ruisseau, avait percé la couche de neige.

C'était la nuit. Sagement, il s'endormit sur ses deux oreilles, douillettement couvert en partie par la neige, se promettant d'analyser la situation au réveil.

Le lendemain, et les semaines suivantes, il eut des surprises désagréables : gel-dégel-fuite d'eau-regel-redégel… Un humain aurait vite pris un gros rhume. Mais lui, heureusement, il était fort comme un roc (on avait pas encore découvert les Turcs à cette époque) et il ne souffrit que d'ennui et mal à l'aise.

J'en ai assez, cria-t-il un matin. Après tout je ne suis qu'un ado, j'ai droit à découvrir le pays !!!

Y-a-t-il un dieu des cailloux ? Vous n'y croyez pas ?

Euh, moi, si, j'y crois.

Le soir même, la tempête repris, encore plus forte. En pleine nuit, il reçut un formidable coup de pied aux fesses, et son voyage repris…

 Vite interrompu quand il buta sur un confrère…

Bonjour, je suis un voisin de là-haut, lui dit-il le matin quand le jour fût levé.

C'était un rocher « gros lard », un obèse, quoi, avec une grosse voix. Pas sympathique du tout !

Tu me gênes, qu'est ce que tu es venu faire ici, jeune freluquet ?

 Dans ces cas là, la plupart d'entre nous, on ne répond pas, on serre les fesses et on regarde ailleurs. Ce qu'il fit.

Sous lui, le ruisseau, qui avait pris de l'ampleur, tombait sur environ 30 mètres, avant de se répandre dans une jolie vasque d'eau au pied de la falaise.

 Dégage, minus ! Le gros rocher vibra un peu, ce qui suffit pour le décoincer. Il reprit sa descente avant de se coincer très vite contre un gros hêtre ( c'était un caillou féru de botanique) dernier rempart avant la grande chute.

Il était un peu à l'écart de l'eau, avec une jolie vue sur la vallée, où il voyait sa rivière qui serpentait joyeusement, au pied d'une petite montagne de l'autre côté.

Son séjour dura  450 254 années.

Court séjour, mais suffisamment long pour commencer à se ronger les sangs, car il n'avait pas de copains de son âge à ses côtés !

Le petit Jésus (c'était un caillou cultivé et au courant des rumeurs) était né depuis plus de 2000 ans quand…

Sec, je glisse…

 
Panique pas, accroche toi au caillou que je vois au-dessus de ta tête. Mais tu es bigleux, au pied du gros hêtre ! Celui-la, ils l'ont pas encore coupé, heureusement.
 

 Il vit des doigts s'accrocher à son dos, se cramponna, mais…

 

Sec, j'te dis, sec !!! Aaaaahhh…

Trente mètres, c'est vite fait, se dit-il. Hurle pas comme ça !

Plouf, splash, aïe…

Le grimpeur tomba dans l'eau qui était heureusement profonde en cette période de fonte des neiges. Quelques égratignures, une entorse de la cheville, c'est tout.

Y-a-t-il un dieu des grimpeurs ? Vous n'y croyez pas ? Le grimpeur, oui, depuis ce jour là. Guéri, il revint quelques semaines plus tard pour retrouver son caillou. Il le trouva très beau : régulier, lisse, de forme allongée, un peu comme un petit menhir.

Notre caillou se retrouva vite fait, bien fait, enroulé dans un sac de toile, puis transporté dans un sac à dos  où il somnola.

Le réveil fut curieux. Les pieds enrobés dans un une pierre liquide qui durcit rapidement, la tête à l'envers, mais les pieds en l'air, il constata avec bonheur qu'il était à nouveau au sein de sa petite famille, au sommet de la montagne. Au royaume des cailloux, on ne perd pas la mémoire : sa vie reprit comme avant…

Quelques milliers d'années passèrent, un saut de puce dans le temps pour un petit caillou...

« Maman, tu peux me lire ce qui est écrit sur ce bout de granit ?

Ce n'est pas du granit, mon petit, c'est du micaschiste ! Tu l'as appris en classe volante, et tu as déjà oublié ? Et tu ne sais donc plus lire ? Quelle jeunesse !

C'est écrit :  en remerciement pour la protection accordée lors de ma chute au saut du Gier, le 3 mars 2015.

Allez, déploie tes ailes, mon aiglon  chéri, on retourne au nid !

 

Notre petit caillou se réjouit de ne plus recevoir, momentanément,  des fientes sur le bout des pieds, et se rendormit sur le bout du nez.

 

B. Jamet